Je crée parce que le vivant me bouleverse. Ce qui tremble, ce qui change, ce qui s’efface m’attire. L’art est ma manière d’habiter le monde, de lui répondre en silence. Une façon de réparer, peut-être. De garder vive une forme d’émerveillement, là où tout invite à l’oublier.

Artiste visuel, je suis profondément sensible au vivant, à sa beauté fragile, à ses métamorphoses silencieuses. L’émerveillement est pour moi une force vitale qui me met en mouvement. Mon engagement se manifeste à travers la photographie et le dessin : un geste poétique et attentif, par lequel j’essaie de traduire la crise écologique par la douceur, la lenteur, la lumière. Je cherche à créer des images et des espaces qui réveillent le regard, qui donnent à ressentir autrement le monde.

Depuis 2023, je conduis une recherche photographique expérimentale sur les phénomènes lumineux et météorologiques. Je m’immerge dans la montagne, le paysage, la glace, la tempête, le givre, mais aussi des reflets et des effets irisants lors de mes pérégrinations — ces espaces où le temps semble suspendu. J’utilise des prismes pour diffracter la lumière, la plier, la tordre, la révéler. La lumière devient matière, fluide, mémoire. Elle devient aussi langage : celui du trouble, du merveilleux, de la fragilité.
À travers ces expérimentations, je questionne les métamorphoses de la lumière dans un monde altéré. Réchauffement climatique, fonte des glaces, pollution atmosphérique : ces mutations impriment leur marque dans l’air que nous respirons, dans les ciels que nous photographions. Ma pratique capte ces altérations, non comme un constat mais comme une forme de poétique engagée. La lumière, devenue instable, devient symbole. Elle porte en elle l’écho des récits en péril, mais aussi l’espoir d’un imaginaire à réenchanter.
Mon approche photographique s’étend aussi à des montages en noir et blanc, où je mêle tirages sur papier, dessins, couches de calque ou matériaux translucides, afin de matérialiser la porosité des mondes. Ces œuvres hybrides évoquent des paysages transformés, instables, altérés, porteurs d’une mémoire troublée par les bouleversements écologiques. Ici, l’image devient palimpseste, dépositaire de strates visuelles et sensibles.
J’aime plonger le spectateur dans des installations immersives, où la lumière et l’objet photographique se rencontrent dans l’espace, pour créer une expérience sensorielle intime. Ces dispositifs cherchent à suspendre le temps, à convoquer l’émerveillement comme un état de conscience, un espace d’écoute du monde.
En parallèle, je poursuis un travail de dessin à l’encre comme une nécessité, comme un besoin de suspendre le temps. C’est une forme d’écriture instinctive et organique que j’ai entrepris depuis de nombreuses années. Je dessine comme on rêve : sans préméditation, porté par l’élan d’un souffle intérieur qui ignore les contours rigides du monde. Mon trait ne cherche pas à représenter, il cherche à faire émerger. Chaque tache d’encre, chaque ligne improvisée s’épanouit comme une excroissance vivante — plante, cellule, astre, selon l’échelle du regard. L’image devient organisme. Elle croît, se ramifie, prolifère, jusqu’à troubler nos repères spatiaux. Où sommes-nous ? Dans l’infiniment petit ou dans le cosmos ? Je travaille sans filet, mais avec une attention aiguë, une conscience organique de la forme qui veut naître.
Ma pratique est un acte de résistance. Une manière de répondre à l’effritement du vivant par la lente germination de formes poétiques. Je tente de réparer symboliquement ce que le monde perd chaque jour. Face à l’anthropocène — cet âge où l’activité humaine imprime sa marque destructrice sur le climat et les écosystèmes — je dessine comme on panse une blessure. Je tisse un langage visuel de la résilience, où la couleur et la forme deviennent des refuges, des contre-mondes.
Entre dessin et photographie, mon travail suit un fil conducteur : celui de l’attention portée au vivant, à ses mutations, à ses disparitions. C’est une écologie sensible, non didactique, qui cherche à éveiller plutôt qu’à dénoncer. Je crois que l’art peut encore ouvrir des brèches dans la perception, inviter au rêve, à la lenteur, à la contemplation. L’émerveillement n’est pas un luxe : c’est un acte politique. Comme le disait Rachel Carson, pionnière de l’écologie moderne, « ceux qui contemplent la beauté de la Terre trouvent des réserves de force qui dureront aussi longtemps que la vie elle-même ».
Je me situe dans l’héritage des artistes qui ont fait du sensible un terrain d’expérimentation et de résistance : Anna Atkins et ses cyanotypes botaniques, Angeles Peña pour ses photographies poétiques, Olafur Eliasson et ses dispositifs lumineux troublants, Megan Rooney et ses peintures qui retranscrivent la fragilité du vivant. À leur manière, tous ont ouvert des voies où l’art devient un laboratoire d’expériences sensibles, un espace de résonance entre l’humain et le monde.
Mon travail cherche à toucher l’œil et l’âme. Il invite à ralentir, à regarder autrement. À suspendre le cours du temps pour que quelque chose, peut-être, recommence à vibrer.

Sans Titre, 2025, techniques mixtes, 21X29,7 cm

Christophe Tarrerias, mai 2025